Après avoir revêtu leur combinaison, chaussé des bottes et s’être coiffés d’un casque doté d’une lampe, Daniel Caron et Luc Leblanc s’apprêtent à déverrouiller la lourde grille qui protège l’entrée de la caverne de Saint-Léonard, située dans le parc Pie-XII.
Aujourd’hui, c’est pour faire visiter certaines galeries à la journaliste et au photographe de La Presse. La plupart du temps, c’est pour explorer les confins de la caverne. Le petit projet de retraite des deux spéléologues amateurs s’est transformé en quelque chose d’assez considérable. Au fil des explorations, la petite caverne de 35 mètres de longueur s’est dévoilée pour atteindre environ 350 mètres. « Elle a littéralement été multipliée par 10 », se réjouit Daniel Caron.
La caverne de Saint-Léonard est connue depuis un bon moment. Du moins, en ce qui concerne ce qu’on appelle maintenant sa « partie historique », soit les 35 premiers mètres.
Déjà, en 1815, le journal Le Spectateur faisait état de cette petite cavité naturelle. Selon l’hebdomadaire, un fermier qui se promenait avec son chien l’avait découverte quelques années plus tôt.
Avec l’urbanisation de la région, dans les années 60, la fréquentation de la caverne a augmenté. Au point que le quotidien La Patrie, en 1968, a suggéré de la boucher pour des raisons de sécurité. La Ville de Saint-Léonard a suivi ce conseil, au grand désespoir du jeune Daniel Caron.
« J’étais jeune adolescent, j’habitais Ville Saint-Michel, je commençais la spéléo. On avait appris dans un magazine de jeunes naturalistes de l’époque qu’il y avait une grotte à Saint-Léonard. On voulait aller la visiter. »
— Daniel Caron
Il avoue qu’il a essayé de déboucher la caverne en pleine nuit avec un autre jeune apprenti spéléologue.
Il a suivi une procédure plus régulière en 1978 avec deux autres membres de la Société québécoise de spéléologie, Robert Carpentier et Michel Beaupré, en demandant officiellement à la Ville de déboucher la caverne. « On disait qu’il y avait peut-être quelque chose à faire avec ça, au cœur du milieu urbain », se rappelle Daniel Caron.
Effectivement, la Ville de Saint-Léonard débouche la caverne en 1979 et confie l’animation du site à la Société québécoise de spéléologie en 1981. « Depuis, 75 000 personnes ont visité la caverne, surtout des jeunes », souligne M. Caron.
L’espoir de voir plus grand
Les spéléologues ont toutefois toujours espéré que la caverne se poursuive au-delà de la section connue. Au cours des années 90, ils creusent dans la partie terminale, vers le bas, sans succès. Ils recommencent à s’intéresser à la question en 2014. Daniel Caron fait notamment appel à la radiesthésie (une technique de prospection très controversée, avoue-t-il) pour essayer de détecter, à partir de la surface, une suite de la caverne dans le sous-sol. « J’avais une baguette de sourcier, raconte-t-il. Elle a réagi au-delà de l’extrémité de la grotte. »
D’autres indices semblent confirmer l’existence d’une galerie. En 2016, notamment, une équipe de spéléologues réussit à glisser une caméra endoscopique à travers un petit orifice. « Au-delà de la grotte connue, il y avait un vide. »
Daniel Caron, qui a longtemps été à la direction du Conseil québécois du loisir, prend sa retraite en septembre 2017. Luc Leblanc, qui faisait du développement de logiciel à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec à Varennes, avait fait de même quelques mois plus tôt. Les deux spéléologues amateurs conçoivent alors un petit projet de retraite : poursuivre la recherche d’une nouvelle galerie à Saint-Léonard. « On pensait amorcer un chantier de plusieurs semaines », se rappelle Daniel Caron.
Les choses ne se passent pas comme prévu.
Le 12 octobre 2017, les deux hommes s’amènent avec des masses, des burins et un perforateur à percussion. « Nous avions l’idée de regarder ailleurs, près du plafond », raconte M. Caron.
Quelques heures plus tard, ils dégagent un petit trou. Ils l’agrandissent au point de pouvoir y passer la tête et constater la présence d’une galerie de belle taille.
« On ne pensait pas trouver un vide de cette ampleur. »
— Luc Leblanc, spéléologue
Ils sont de retour le lendemain avec un autre spéléologue amateur, Michel Beaupré, ingénieur et géologue de profession, et avec une échelle achetée rapidement chez Canadian Tire. Ils élargissent le passage et descendent dans la nouvelle galerie. D’un côté, il y a un passage orné de petites stalactites et de coulées de calcite. De l’autre, une galerie, baignée d’eau, qui semble se terminer une dizaine de mètres plus loin sur un éboulis. Mais non, il y a un petit passage en hauteur qui permet aux spéléologues de surmonter l’obstacle. C’est alors qu’une longue galerie rectangulaire, elle aussi baignée d’eau, s’étend devant eux.
Ils descendent alors à l’aide d’une corde. Vêtus de vêtements de flottaison, ils progressent quelques dizaines de mètres avant de rebrousser chemin : ils n’ont pas pied et les murs de la galerie sont si lisses qu’il n’est pas possible de s’y accrocher.
« On s’est commandé de petits canots pneumatiques sur Amazon, on a progressé », raconte Daniel Caron.
L’arrondissement de Saint-Léonard et la Société québécoise de spéléologie annoncent la découverte le 1er décembre 2017. Depuis, le travail d’exploration se poursuit. Daniel Caron estime que la partie aquatique devrait faire maintenant 250 mètres de long.
« Nous avons introduit deux kayaks rigides pour remplacer les canots pneumatiques, note M. Caron. Nous avions fait deux naufrages et un canot avait carrément crevé. Nous devrions introduire un troisième kayak dans les prochains jours. »
La fonte des neiges a toutefois ralenti les choses au printemps : l’eau de fonte s’est infiltrée et a fait augmenter le niveau de l’eau.
Une nouvelle phase de travaux est sur le point de débuter, soit la topographie de la caverne.
Daniel Caron rappelle que d’autres cavernes ont été découvertes dans le passé à Saint-Léonard : une petite caverne d’une quinzaine de mètres, L’Éphémère, découverte en 1972 dans un chantier de construction et rebouchée presque immédiatement, et la caverne de la rue du Saguenay, découverte en 1982, longue de 317 mètres.
« La grotte du parc Pie-XII se dirige de façon presque rectiligne vers la nouvelle section de la caverne de la rue du Saguenay, note M. Caron. C’est peut-être le même réseau. Si on est chanceux, il y a des grottes entre les deux. »